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Entretiens Michel J. Cuny - Françoise Petitdemange

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19 janvier 2015

1 - A propos de la guerre contre le peuple libyen...

 

A l'initiative souveraine du président de la république française, Nicolas Sarkozy, la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne a donc été anéantie sous les bombes en 2011. Observatrice attentive des événements qu'elle commentait quotidiennement sur Internet, Françoise Petitdemange annonce la parution de son ouvrage "La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011)". Elle répond ici à quelques questions...

 

Michel J. Cuny : En 1969, lors de la chute du roi Idriss 1er et de la prise de pouvoir par un groupe d'officiers unionistes libres, comment le gouvernement français avait-il réagi ?

Françoise Petitdemange : Georges Pompidou venait d'être élu à la présidence de la république, le 20 juin de cette année 1969, lorsque le 1er septembre, la Révolution a eu lieu en Libye. L'accueil qu'il fait aux jeunes révolutionnaires a été fort heureusement relaté par Guy Georgy qui s'apprêtait à devenir le premier ambassadeur de France dans la Libye révolutionnaire :

"Vous avez appris ce qui s'est passé ; on ne connaît pas encore les auteurs de ce coup d'Etat, mais il est probable que ce sont des nationalistes à la Nasser. Le monde arabe est en effervescence, la croissance démographique et le pétrole, la misère et la richesse insolente s'y côtoient, la soif de dignité et de justice est la nouvelle antienne du tiers-monde. La moitié de ces peuples ont moins de vingt-cinq ans et l'avenir n'est certainement pas aux rois, aux princes ni aux potentats de tout poil. Vous verrez ces jeunes gens. Vous les écouterez pour savoir ce qu'ils veulent, vous les jugerez avec sympathie, vous leur offrirez notre coopération. Il ne doit pas manquer de domaines où l'intérêt de nos deux pays puisse être complémentaire."

 

Michel J. Cuny : Dans quel domaine les intérêts de la Libye révolutionnaire et de la France de Georges Pompidou ont-ils pu, par exemple, se rejoindre ?

Françoise Petitdemange : Dès l'automne, pour défendre la jeune révolution, des pourparlers secrets ont été engagés, entre la France et la Libye, portant sur des avions "Mirage" de la firme Dassault. Très rapidement, les services secrets israéliens (le Mossad) révèlent l'affaire, aussitôt relayés dans les médias français. En février 1970, lors d'un voyage officiel du couple présidentiel français aux Etats-Unis, des manifestations accompagnent ses déplacements. Le 28, à Chicago, Georges et Claude Pompidou, conviés à un dîner offert par le Chicago Council of Foreign Relations et l'Alliance française, sont accueillis par un millier de manifestants de la diaspora juive : "Pompidou go home !" A l'issue du dîner, la foule est encore plus agressive. Le journaliste Vincent Nouzille raconte...

"Les services de sécurité et les gardes du corps sont débordés. Les cris fusent. Des manifestants pressent les Pompidou et leur crachent au visage."

 

Michel J. Cuny : La Libye révolutionnaire n'était donc ni une amie d'Israël, ni une amie des Etats-Unis en général... Pour quelles raisons ?

Françoise Petitdemange : A propos d'Israël, voici comment Muammar Gaddhafi devait répondre, lors d'un entretien accordé en avril 1983 à trois journalistes, Hamid Barrada (Africain), Marc Kravetz (Européen et Juif), Mark Whitaker (Etats-Unis), qui venaient d'évoquer la persécution des Juifs(ves) :

"Les Juifs, je le répète, ont été persécutés et pourraient l'être encore, c'est possible. Mais il est absolument certain qu'ils n'ont pas été touchés pendant les quatre mille ou cinq mille ans qu'ils ont vécu avec les Arabes. Voilà une vérité qui mérite d'être consignée dans les livres - et méditée." Alors, où est le problème ? Ici: "Tel est le credo des sionistes, consigné dans leurs écrits et illustré par leur comportement actuel. Périsse le monde entier pourvu qu'ils subsistent eux seuls et réalisent leur croyance fallacieuse, à savoir qu'ils sont le peuple élu."

En ce qui concerne les Etats-Unis, les membres du Comité central des Officiers Unionistes Libres, devenu le Conseil du Commandement de la Révolution avaient été intraitables. Les troupes états-uniennes, comme trois mois auparavant les troupes britanniques, avaient dû évacuer les bases militaires, le 30 juin 1970 au plus tard, mettant ainsi fin à la colonisation. Ce démantèlement avait été l'une des raisons majeures, pour les jeunes militaires et civils, de faire la révolution.

 

Michel J. Cuny : Comment définir la Jamahiriya Arabe Libyenne ?

Françoise Petitdemange : Le terme Jamahiriya, qui est un néologisme créé par Muammar Gaddhafi, veut dire "Etat des masses". Les éléments fondamentaux de cette structure sont les Congrès Populaires de Base (CPB) qui ont eu pouvoir décisionnel.

"Sont membres de droit des CPB tous les citoyens libres ayant 16 ans révolus ainsi que tous les ressortissants des pays arabes s'ils le désirent."

Les CPB (Congrès Populaires de Base) ont compétence pour...

"1 - Promulguer les lois dans les différents domaines... 2 - Etablir le plan de développement [économique et social] et le budget de l'Etat. 3 - Ratifier les traités et accords [signés] entre la JALPS [Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire Socialiste] et les autres pays. 4 - Définir la politique [générale] dans tous les domaines. 5 - Déterminer les relations de la JALPS avec les autres pays. 6 - Fixer la position politique de la JALPS à l'égard des mouvements politiques dans le monde. 7 - Statuer en ce qui concerne la guerre et la paix. 8 - Former les Comités populaires et évaluer leur action, (leur demander des comptes)."

Les Comités Populaires de Base, quant à eux, ont la charge de mettre en application les décisions des Congrès Populaires de Base.

A l'échelle du pays, les Secrétaires délégués par les Congrès Populaires de Base, les Comités Populaires de Base, ainsi que par les Unions, Syndicats et Ligues professionnel(le)s, les Secrétaires du Comité Populaire Général, le Secrétariat Général du Congrès Général du Peuple se réunissent une ou deux fois par an, lors du Congrès Général du Peuple (CGP).

 

Michel J. Cuny : Cette démocratie directe, pleinement assumée sur le plan politique, se retrouvait-elle jusque dans la dimension économique ?

Françoise Petitdemange : Dès après la Révolution, Muammar Gaddhafi lit un "Communiqué"  à la radio libyenne. Parlant de la nouvelle Libye...

"Elle ira de l'avant sur le chemin de la liberté, de l'union et de la justice sociale, garan-tissant à tous ses fils le droit à l'égalité et ouvrant grand devant eux les portes d'un travail honnête, d'où seront bannies l'injustice et l'exploitation, où personne ne sera ni maître ni serviteur, où tous seront des frères libres, au sein d'une société qui verra régner, par la grâce de Dieu, la prospérité et l'égalité."

Dans l'Etat des masses, tout ce qui est fondamental pour l'être humain était assuré. Au moment du mariage, par exemple, chaque couple libyen recevait un logement gratuit (un appartement ou une maison) dont la superficie pouvait aller jusqu'à 160 mètres carrés. Pour les habitant(e)s, l'eau, l'électricité, le chauffage, à usage domestique, étaient gratuit(e)s. Le prix d'un litre de carburant était de 0,08 euro, etc...

Voilà tout ce que la France de Nicolas Sarkozy et du sioniste avéré Bernard-Henri Lévy a décidé de détruire.

 

"La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011)", Editions Paroles Vives, 542 pages, 29 €.

Contact avec Françoise Petitdemange : fpetitdemange.mjcuny@orange.fr

 

 

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19 janvier 2015

2 - Les enjeux méconnus de la Sécurité sociale

 

En 1976, le Médiator commence sa carrière en France. Le voici prescrit dans les ordonnances émanant – non pas de charlatans – mais de médecins ayant effectué de longues études couronnées par des diplômes qui ont été reconnus par les Facultés de médecine et par l’État français. Ce Médiator, donc, acheté par les patient(e)s, remboursé par la Sécurité sociale, a été pris selon des prescriptions diverses, avec les conséquences désormais connues sur leur santé.

Ces patient(e)s sont, d’ailleurs, devenu(e)s, au fil des décennies, de véritables client(e)s, victimes de l’industrie pharmaceutique dans le cadre de la propriété privée des moyens de production et d’échange. Dans son ouvrage “Une santé aux mains du grand capital ? – L’alerte du Médiator”, Michel J. Cuny s’est intéressé, d’une façon générale, au parcours suivi par le médicament, depuis sa conception jusqu’à sa mise sur le marché, en passant par sa fabrication, puis, d’une façon plus particulière, aux péripéties du Médiator, dont la prescription a été détournée de son objectif au point de produire des effets contraires à ceux pour lesquels il avait été conçu et fabriqué au départ.

 

Françoise Petitdemange :

Avant d’en venir précisément aux structures garantes de la santé et à l’affaire du Médiator, ne faudrait-il pas s’attarder un peu sur les origines de cet « acquis » sans cesse menacé : la sécurité sociale ? Il y a, déjà là, quelque chose à dire, il me semble ?

Ambroise Croizat, un nom qui revient souvent lorsqu’il est question de la Sécurité sociale, a été secrétaire de la Fédération unitaire des métaux, en 1928, puis secrétaire général de la Fédération unique des Métallurgistes, en 1936, importante Fédération puisqu’elle comprenait le cinquième des effectifs de la CGT (Confédération Générale du Travail). En plus de ces fonctions syndicales, il a été député, avant et après la seconde guerre mondiale, de 1936 à 1940, puis de 1945 jusqu’à sa mort en 1951.

À l’époque du Gouvernement provisoire de la République française, avec Charles de Gaulle comme chef de l’État de facto (du 3 juin 1944 au 20 janvier 1946), Ambroise Croizat a été ministre du Travail du 21 novembre 1945 au 26 janvier 1946, soit durant deux mois. Après le départ fracassant de Charles de Gaulle et l’arrivée de ses successeurs : Félix Gouin (du 26 janvier au 24 juin 1946) et Georges Bidault (du 24 juin au 16 décembre 1946), Ambroise Croizat est resté ministre du Travail et devenu… ministre de la Sécurité sociale, du 26 janvier au 16 décembre 1946, postes qu'il a retrouvés du 22 janvier au 4 mai 1947.

Selon l’histoire officielle, il aurait donc lui-même mis en place le système de protection sociale avec allocations familiales, assurance maladie, retraites, etc., et contribué à l’amélioration du droit du travail avec la réglementation des heures supplémentaires, la médecine du travail, le statut du mineur et la création des comités d’entreprise. La première question est donc la suivante : Ambroise Croizat, est-il le fondateur ou le co-fondateur de la sécurité sociale et du système des retraites en France, comme il est si souvent répété ?

 

Michel J. Cuny:

Non, bien sûr. Ce qui n'enlève rien, ni à ses mérites ni à la difficulté de la tâche qui a été la sienne dans un contexte marqué par les contraintes matérielles des lendemains de la seconde guerre mondiale – la France était ruinée –, et par l'opposition d'une partie importante des classes moyennes à l'existence même d'une sécurité sociale destinée à couvrir l'ensemble de la population.

Lorsqu'il prend ses fonctions au ministère du Travail le 21 novembre 1945, il trouve sur son bureau les deux ordonnances signées, la première en mars et la seconde en octobre 1945 par le général de Gaulle... Ambroise Croizat ne peut que les appliquer. Par ailleurs, il a, à ses côtés, un certain Pierre Laroque qui est, lui, le vrai père de la sécurité sociale à la française. Si Ambroise Croizat est tout à la fois communiste et un membre éminent de la Confédération Générale du Travail (CGT), le grand syndicat ouvrier, Pierre Laroque n'est rien de tout cela... Tout au contraire. C'est ce qui explique certaines ambiguïtés – pour ne pas dire beaucoup plus – qu'on retrouve dans le schéma de base de la sécurité sociale...

 

Françoise Petitdemange :

Est-il possible d’avoir un échantillon de ces ambiguïtés ?

 

Michel J. Cuny :

Jetons un œil sur ce que devient la solidarité dans la sécurité sociale à la française. C'est Pierre Laroque lui même qui s'en réjouit en 1948 : « On pouvait songer, comme l'a fait le législateur britannique par une formule particulièrement simple, à donner à tous un minimum vital en partant de l'idée que tous ceux qui sont privés de leur travail sont dans une situation identique et ont besoin d'un même minimum pour continuer à vivre. Ce n'est pas la conception qui a prévalu dans le régime français... Qu'il s'agisse d'allocations journalières ou mensuelles, de rentes d'accident du travail, de pensions d'invalidité ou de pensions de vieillesse, toutes sont calculées en fonction du salaire perdu par l'intéressé : derniers salaires perçus pour les allocations journalières, mensuelles, de rentes d'accident du travail, salaire moyen des dix dernières années pour les pensions d'invalidité, salaire moyen des dix années précédant le soixantième anniversaire pour les pensions de vieillesse. »

Après avoir donné ce texte – au milieu d'une série d'autres du même genre - dans Une santé... (pages 278-279), je le commente de la façon suivante : « Comme on le voit, la solidarité ne veut pas dire qu'en face d'un même problème, l'indemnisation sera identique. Elle ne doit agir que dans le cadre du maintien d'un statut. Plus même : dès qu'elle se met en œuvre, elle souligne l'appartenance du travailleur à une strate déterminée du monde du travail. »

 

Françoise Petitdemange :

Y a-t-il eu, en France un âge d’or du médicament et, donc, d'un certain type de médecine ?

 

Michel J. Cuny :

Oui, cela est désormais manifeste, si nous prenons l'histoire de l'un des leaders mondiaux actuels du médicament : le français Sanofi.

Il y a d'abord un élément essentiel qui est intervenu dès le retour du général de Gaulle à la tête de l'État. Je l'ai décrit de la façon suivante :

"Et 1959 voit naître le "brevet spécial de médicament" qui organise une protection de vingt ans pour tout nouveau principe actif déposé, mesure que François Besançon, fils du professeur Justin-Besançon qui avait été la cheville ouvrière des Laboratoires Delagrange (l’un des futurs éléments constitutifs de Synthélabo, et donc de Sanofi), commentera ainsi : « La période où les brevets ont été possibles en matière de médicaments a été cruciale dans l’histoire des laboratoires. Il s’agissait de devenir propriétaire des brevets pour pouvoir les licencier à des sociétés d’exploitation françaises ou étrangères.» "

Sur la base d'un financement de long terme assuré par la Sécurité sociale, l'appropriation privée des brevets étant assurée à d'éventuels grands groupes français ou étrangers, l'aventure des multinationales était rendue possible. Mieux, elle sera encouragée au fil des décennies. Le médicament devenait lui-même l'élément central de l'acte médical, et le moyen d'un commerce extrêmement florissant... pourvu, simplement, que le médecin de base se plie lui-même à ce qu'exigeait le circuit de rentabilisation dont, par la prescription, il était le rouage essentiel.

Parmi tous ces médicaments, il y a eu, dès 1976, un certain Médiator : le chouchou. Dans ce contexte de conquête des marchés mondiaux, les malheurs qu'il a engendrés n'ont aucune raison d'étonner qui que ce soit.

 

Michel J. Cuny - Une santé aux mains du grand capital ? – L’alerte du Médiator,
Éditions Paroles Vives 2011, 476 pages, 29 €.
Contact avec Michel J. Cuny : mjcuny.fpetitdemange@orange.fr
http://unesanteauxmainsdugrandcapital.hautetfort.com

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Entretiens Michel J. Cuny - Françoise Petitdemange
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